Fringale de fringues

Hors série – Automne 2021

La photographe et journaliste Léonor Lumineau creuse depuis longtemps le sillon des sujets environnementaux. Les ravages occasionnés par l’industrie textile, elle connaît. Pourtant, elle a été surprise par son propre dressing qui contenait… un véritable monstre. Elle nous dévoile les étapes du travail photographique, « Fashion Monsters », que cette expérience lui a inspirées.

Propos recueillis par Isabelle Motrot – Photos Léonor Lumineau

Causette : Votre portfolio s’intitule « Fashion Monstres ». Ce monstre de mode, il vous est apparu un peu par hasard ?

Léonor Lumineau : Il a surgi pendant le premier confinement, alors que je faisais du tri dans mon armoire. J’ai été hallucinée par le nombre de vêtements que j’avais, par rapport à ceux que je porte réellement. Je suis pourtant tout à fait consciente des ravages de la fast fashion, je ne supporte plus de mettre les pieds dans les magasins qui la propagent. Voir ces milliers d’habits qui n’ont pas vraiment d’utilité me provoque quasiment des crises d’angoisse. J’achète majoritairement de la seconde main. Et malgré tout, c’était consternant, mais il y avait bien cet énorme tas de fringues sur mon lit.

L’idée de cette créature textile s’est-elle imposée immédiatement ?

L. L. : Quand j’ai vu cet amas de vêtements, je me suis sentie un peu honteuse et… un peu monstrueuse. J’ai cherché un moyen d’utiliser cette figure du monstre pour susciter un petit déclic qui déclencherait une prise de conscience. De manière ludique et pas accusatrice, puisque nous sommes tous et toutes en partie responsables. Le monstre peut être à la fois rigolo, comme dans les histoires pour enfant, mais il peut aussi être épouvantable. Un peu comme notre façon de consommer les vêtements.

Vous avez mis en place un véritable protocole pour fabriquer ces personnages ?

L. L. : Soit cette idée fonctionnait, soit c’était un échec total. J’ai eu quelques moments de stress ! J’ai finalement mis au point un processus pour effectuer la prise de vue et mettre au point des légendes. D’abord avec la personne qui me reçoit, on sort tous les habits de l’armoire, on en met sur le lit et dans la chambre. On crée le monstre, on fait la photo, et ensuite, au moment de ranger, on compte un à un, catégorie par catégorie, tous les vêtements. C’est le décompte indiqué dans les légendes. Tout ça prend plusieurs heures.

Les « portraituré-es » ont-ils et elles bien pris votre proposition ?

L. L. : Oui, tous et toutes étaient volontaires et intéressé-es par la démarche. Une chose à laquelle je ne m’attendais pas, c’est que ce tas de vêtements sur leur lit leur provoquaient souvent exactement la même surprise et le petit sentiment de culpabilité que j’avais eu moi-même devant le nombre de fringues. Ils et elles en ont profité pour faire du tri, et beaucoup m’ont dit ensuite que leur consommation avait baissé !

Judith, 78 robes, 26 pulls, 62 paires de chaussures, 30 tee -shirts, 15 pantalons, 30 jupes.
Thomas, 34 pantalons, 53 tee-shirts ou chemises, 17 pull, 15 vestes, un nombre incalculable de chaussettes.
Élodie, 56 paires de chaussures, 54 robes, 116 tee-shirts ou haut, 29 shorts ou jupes, 45 pulls ou gilets, 44 pantalons, 16 manteaux ou vestes, 6 chapeaux, 33 sacs.

D’autres images sur le site de Léonor Lumineau – Fashion Monsters

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