Alors que l’IA est désormais sur toutes les lèvres, le philosophe français Luc Ferry s’en empare à son tour dans un livre. Invité mardi dans La Matinale, il a exposé sa vision d’une technologie dont il craint les effets pervers sur l’emploi.
RTS – La Matinale – 08.04.2025 – 12 min
L’ouvrage de Luc Ferry est présenté comme le fruit d’une dizaine d’années d’échanges et de réflexions éthiques, politiques et philosophiques autour de l’intelligence artificielle, un sujet qui le passionne.
Intitulé « IA: Grand remplacement ou complémentarité? », le livre pose d’emblée une question à laquelle l’ex-ministre de l’Education de Jacques Chirac dit avoir trouvé un début de réponse: « Je pense que la complémentarité va être un combat extrêmement difficile », explique-t-il dans La Matinale.
« C’est dingue! Les IA génératives sont mille fois plus cultivées que moi »
Luc Ferry, philosophe
« Pratiquement tout le monde sous-estime encore les performances des IA génératives. Et ce qu’on a surtout sous-estimé, c’est leur intégration dans la robotique humanoïde. C’est très récent », développe-t-il. Or, cela pourrait mener à une disparition du travail plus large qu’attendu: « Regardez les robots Optimus d’Elon Musk. Imaginez qu’on leur intègre GPT-5, qui sortira prochainement. Vous aurez des laveurs de carreaux qui seront polytechniciens, biologistes, agrégés d’histoire et de maths. »
Selon lui, le commun des mortels ne réalise pas encore leur portée « parce qu’ils ne sont généralement pas abonnés [aux versions payantes, ndlr]. Ils parlent encore des erreurs que commettent les IA génératives parce qu’ils utilisent des versions anciennes. Mais c’est dingue! Vous parlez avec elles comme à un humain qui serait professeur à la Sorbonne depuis 50 ans. Elles sont mille fois plus cultivées que moi. »
« La fin du travail »?
D’après Luc Ferry, la question se pose encore quant à l’étendue des domaines qui seront touchés, notamment les activités artistiques. « Selon moi, l’IA peut être très créative, mais c’est tout un débat. Il y a des gens qui disent que ça ne remplacera pas les gens, d’autres qui disent que oui. Tout mon livre est construit sur ces antinomies, pour donner des arguments. »
Le philosophe concède toutefois pencher pour la vision d’une « fin du travail » partagée par de nombreux milliardaires de la Silicon Valley, dont certains prônent même un revenu universel de base en vue de la disparition de millions d’emplois.
« Il faut expliquer aux gamins qu’on ne peut pas prendre une IA pour penser à sa place »
Luc Ferry
À titre d’exemple, l’écrivain cite le métier de traducteur: « J’ai traduit un chapitre de mon livre en allemand avec l’IA. En 20 minutes, j’ai réussi à avoir 50 pages parfaites. Je parle allemand, j’ai été traducteur, je peux vous dire que je n’ai pas eu une virgule à changer. Et on peut faire ça en 150 langues. Ce métier est mort de chez mort. »
En tant qu’ancien ministre de l’Education, Luc Ferry estime également qu’il est « crucial » de sensibiliser les plus jeunes. « Il faut que les profs se réveillent. Prenez les devoirs, par exemple: des professeurs de Harvard et de New York ont raconté dans le Financial Times qu’ils constataient une énorme différence entre les devoirs à la maison et les devoirs en classe. Parce que les devoirs à la maison sont faits par l’IA. Alors, il faut expliquer aux gamins (…) qu’on ne peut pas prendre une IA pour penser à sa place, parce que c’est une catastrophe. Il faut qu’ils comprennent qu’ils n’ont pas intérêt à le faire. »
Propos recueillis par Delphine Gendre
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- Tesla Optimus ou Optimus est un projet de robot humanoïde domestique multifonction doté d’intelligence artificielle, de Tesla Inc., présenté en 2021, avec une production en série annoncée pour 2026 – Wikipédia;
- L’expérience de Sam Altman, PDG d’OpenAI, sur le revenu de base universel (RUB) révèle les avantages et les limites de la lutte contre les pertes d’emplois dues à l’IA – developpez.com;
- IA : grand remplacement ou complémentarité ? – Luc Ferry